Mademoiselle MONTANSIER, à l’origine de notre théâtre à Versailles, fut d’abord une rebelle avant de devenir courtisane, femme d’affaires et surtout femme de théâtre.
Sa vie fut une aventure, née sous Louis XV, elle connut trois rois, un empereur, la Terreur, mais surtout le succès, la fortune, la célébrité, et des amours aussi nombreuses que variées. Petite, mais vive et enjouée, elle usa de ses charmes sans modération.
Née en 1730 à Bayonne d’un père forgeron, elle s’appelait en réalité Marguerite Brunet. A la mort de son père, elle fut placée à quatre ans au couvent des Ursulines de Bordeaux. Rebelle à quatorze ans, elle s’enfuit pour être recueillie dans une troupe de comédiens, tombe amoureuse du jeune premier qui l’entraîne à la Martinique. Elle abandonne vite ce premier amour pour l’intendant de l’île un dénommé Burson qui l’établit à vingt ans marchande de mode à Saint Domingue. Cinq ans plus tard, lassée des tropiques et de sa population confinée, elle revient à Paris, avec deux domestiques noirs, chez une vague tante par alliance, Madame Montansier, dont elle emprunte le nom. Enfin parisienne, elle ouvre un salon de jeux fréquenté par la jeunesse dorée, n’hésitant pas à monnayer ses charmes pour en tirer quelques subsides. Elle tente brièvement une carrière de comédienne sans succès défavorisée par son accent béarnais trop prononcé.
Ambitieuse, approchant la quarantaine, elle décide de se rapprocher de Versailles car c’est là qu’est la fortune. Son amant d’alors, M. de Saint-Contest lui obtient la direction d’une petite salle, rue de Satory. C’est une révélation : diriger une troupe d’acteurs, choisir le répertoire, organiser des spectacles, voilà sa vocation. Versailles n’a pas de vrai théâtre, mais seulement des salles plus ou moins aménagées. Après la rue de Satory, elle loue au sieur Leconte, un marchand de grains, la salle de spectacle des gardes du roi aménagée au premier étage du n° 3 de la rue Royale. C’est un succès. Les versaillais s’y précipitent tout autant que les grands de la Cour. Vive, enjouée, elle fait bientôt la conquête de la jeune Marie-Antoinette qui cherche à se divertir de l’atmosphère pesante de la Cour. Impressionnée par cette femme toujours prête à organiser un bal, un concert, un souper, la reine lui accorde sa protection, ce qui lui vaut bientôt le titre de
« directrice des spectacles à la suite de la cour », c’est-à-dire le privilège d’organiser tous les bals et les spectacles de Versailles, puis de toutes les villes résidences royales, y compris Paris.
C’est alors qu’elle projette d’élever à Versailles, un vrai théâtre à l’italienne. Son précédent amant, de Saint-Contest, lui avait acquis un terrain, rue des Réservoir en contrebas de l’hôtel de la Pompadour, le terrain dit des « chiens verts » qui appartenait au Comte de Provence. Décédé peu après, il lui en laissait l’entière propriété. Dès qu’elle en a l’autorisation, les travaux sont menés en moins de dix mois par Boullet, inspecteur des théâtres de sa majesté et machiniste de l’Opéra Royal, sur les plans de l’architecte du roi Jean-François Heurtier. Le théâtre est inauguré le 18 novembre 1777 en présence du couple royal qui a sa loge en avant- scène, côté jardin. Le roi, et plus fréquemment encore la reine, y accèdent discrètement par un long couloir passant derrière l’hôtel de la Pompadour. Mademoiselle Montansier a ses appartements au second étage. Pour l’époque, c’est un théâtre moderne, à l’italienne, s’inscrivant en un cercle presque parfait. Derrière la majestueuse façade que nous connaissons, la salle se parait d’un élégant décor blanc et bleu rehaussé d’or.
Gloire et fortune
Pour celle-ci, c’est la gloire et la fortune. Elle dirige maintenant ses nombreux théâtres, courant d’une ville à l’autre dans son carrosse à quatre chevaux où elle s’est fait installer une écritoire pour rédiger ses comptes et ses projets. Elle sait plaire et devancer les goûts du public. Infatigable, intrépide, ambitieuse, elle forme une société avec son amant de l’heure, le comédien Honoré Bourdon, dit De Neuville, dont elle est éprise et qu’elle finira par épouser. En 1788, elle achète le Théâtre des Beaujolais, près du Palais-Royal, fait agrandir la salle par l’architecte Victor Louis et l’inaugure en 1790.
Depuis six mois, le roi et la Cour sont à Paris, la Révolution a commencé. Malgré les évènements, le théâtre des Beaujolais obtient un franc succès en faisant jouer des opéras italiens traduits en français. Les jalousies s’accumulent. On l’accuse d’être la pourvoyeuse de tous les vices de la Cour. Elle fait front, et attaque à son tour pour exiger, et obtenir, en vertu de son privilège royal, une redevance sur tous les théâtres de la ville. On l’accuse alors d’être à la solde des anglais. A nouveau elle fait face. Accompagnée de De Neuville et de 85 artistes, elle obtient le 3 septembre 1792, l’autorisation de créer une « compagnie franche »
pour défendre la Patrie. Le 1er novembre sa compagnie est à Jemmapes et est citée à l’ordre de l’Armée. A Bruxelles, en Belgique occupée, elle prend la direction du théâtre de la Monnaie. Mais se voit contrainte de quitter la Belgique en catastrophe en mars 1793. Revenue à Paris, elle est à nouveau dénoncée pour connivence avec l’ennemi et est arrêtée en pleine période de la Terreur. Le procureur fait fermer ses salles. Elle sauve sa tête de peu, la Terreur s’achevant avec la chute de Robespierre. Libérée après dix mois de détention arbitraire, innocentée, elle se bat et obtient de haute lutte de belles compensations financières.
Le théâtre des Variétés
Elle monte alors une nouvelle salle, le théâtre Olympique, rue de la Victoire, puis émigre vers la salle Favart dont le succès finit par éveiller de nouvelles cabales. Le 1er janvier 1807, elle est reçue par l’empereur qui lui accorde aide et protection. Forte de cet impérial appui, elle réunit sa troupe, ses comédiens et amorce la construction d’une nouvelle salle. A soixante-dix-sept ans, « Mademoiselle » est toujours aussi active. Elle obtient son achèvement en cinq mois, décidant tout, organisant tout et inaugure le 24 juin 1807 son « Théâtre des Variétés », qui se dresse à côté du passage des Panoramas, boulevard Montmartre. Un triomphe encore, le tout-Paris est là.
A soixante-neuf ans, elle avait fini par épouser son vieil amant, De Neuville, qui l’avait suivi dans la folle équipée de Jemmapes. Il devait rendre l’âme quatre ans plus tard. Elle n’était pas faite pour la solitude. On l’accusa d’avoir des faiblesses pour le jeune et beau danseur italien, Fiorisimo. Mais sa vraie famille, c’était sa troupe de comédiens, ses vaudevilles, ses théâtres. Elle quitte ce monde, le 13 juillet 1820 à quatre-vingt-dix ans. Versailles, avec son théâtre Montansier, est la seule ville à prolonger la mémoire de cette femme libre et énergique, qui pendant un demi-siècle a rayonné sur ce monde du spectacle.
Claude Sentilhes.
Sources : Patricia Bouchenot-Déchin, La Montansier de Versailles au Palais Royal, édition Perrin. / Tristan GASTON-BRETON, [email protected] / MERLE, Jean Toussaint - Mademoiselle Montansier, son salon et son théâtre (1832). / Dicta Dimitriadis, La Montansier. Biographie, Mercure de France, 1995. / Tristan Breton, les Echos, 2010.