Par Michel Garibal
Elle vient de tirer sa révérence après 41 ans de bons et loyaux services au château de Versailles. Elle incarnait parfaitement la maîtresse de maison idéale d’un établissement royal avec sa silhouette longiligne et racée..
Tôt levée, tard couchée, elle parcourait chaque jour des kilomètres à travers les galeries et les salons pour vérifier que tout était en ordre, en traquant les graffitis et les chewing-gums laissés par des visiteurs indélicats. Elle arborait toujours un énorme trousseau de clés à l’ancienne, qui ajoutait encore à son rôle de gardienne du temple. Et sa longévité dans ces lieux historiques donnait à penser à une grande partie du personnel qu’on l’avait toujours connue et qu’elle était devenue inséparable de ce domaine prestigieux.
Rien ne destinait au départ cette parisienne à s’installer à Versailles. Certes, elle avait des antécédents culturels avec un père spécialiste du dix-septième siècle. Après des études à Assas, puis au Panthéon Sorbonne, où elle s’initiait à l’histoire du droit, elle avait suivi l’école du Louvre, mais aussi l’Institut d’administration des entreprises avant de passer le concours de la conservation des musées nationaux. Le hasard a voulu qu’elle obtint un stage auprès de Gérald Van der Kemp, qui vit aussitôt en elle la perle qu’il cherchait à attirer à Versailles. Après un séjour à la villa Medicis en Italie, elle s’installa alors au château, sans imaginer qu’elle y accomplirait toute sa carrière. Sa grande surprise fut la variété des tâches à réaliser : la plupart s’inscrivaient dans la logique des études et des stages qu’elle avait accomplis. Mais il y avait aussi des tâches plus modestes concernant la sécurité et l’entretien des bâtiments et qui étaient purement domestiques. Elle se vantait même d’avoir introduit l’aspirateur au château, signe d’un modernisme qui n’était pas de mise au départ.
Van der Kemp avait compris l’importance de la communication ; le mécénat a apporté les fonds nécessaires pour réveiller un château longtemps endormi. Et la création d’un établissement public a tout changé, car elle a fourni les moyens qui faisaient cruellement défaut, en professionnalisant tous les secteurs d’activité et en permettant de recruter des personnels de haut niveau. Aujourd’hui, le château emploie un millier d’agents, dont 350 surveillants. Le budget de fonctionnement est de l’ordre d’une centaine de millions d’euros.
Quelle leçon Béatrix Saule tire-t-elle de cette expérience unique ? Le sentiment d’avoir vécu en partie dans un rêve, mais un rêve actif, avec un emploi du temps rude, harassant, mais qui la plongeait en permanence dans un univers de l’excellence. Dans tous les domaines, elle était en présence de ce qu’il y avait de mieux :
les meilleurs artistes, les professionnels les plus reconnus, les grands de ce monde (avec un point particulier pour Valéry Giscard d’Estaing qui a une immense affection pour Versailles), les plus beaux mobiliers, les bijoux exceptionnels, des réceptions uniques, bref un monde où tous les superlatifs étaient de mise pour tenter de décrire un univers unique qui a pourtant duré quarante ans !
Rien n’est figé au sein du domaine. Son successeur poursuivra son œuvre, en veillant à entretenir soigneusement les marbres, les peintures, les décors, les sculptures. Il conviendra aussi d’avancer davantage sur l’exploitation des catalogues scientifiques pou transmettre un patrimoine toujours plus beau et attrayant. Béatrix va prendre un peu de repos, au retour d’une exposition qu’elle vient d’inaugurer à Canberra, la capitale de l’Australie. Elle abandonnera son appartement du château, mais restera dans la ville où elle habitera désormais. Et ses amis de l’Académie de Versailles, dont elle est un des membres éminents se réjouissent déjà de la voir participer à leurs travaux comme elle le leur a promis, en permettant à la société savante de profiter de son exceptionnelle expérience.