Stephan Eicher : Ode à la joie

A l’occasion de son passage au Palais des Congrès de Versailles le 14 avril 2023, dans le cadre de sa tournée « Et Voilà ! », le plus français des chanteurs suisses revient pour nous sur « Ode », son nouvel album rempli de joie et de liberté… Toujours en paix.

PAR THOMAS MACRI

Stephan Eicher (1)
Il y a des artistes qui restent dans le temps. Ceux qui vous font penser et repenser à un moment précis de votre vie. Des artistes qui, avec une chanson, vous font voyager dans les archives d’une vie passée, tout en vous projetant dans celle que vous vivez au moment présent. Stephan Eicher fait bien partie de ceux-là. Artiste emblématique de la scène musicale française et européenne, il nous livre aujourd’hui « Ode », un album aux rythmiques rock, soul, et légèrement folk, toujours saupoudré d’une certaine mélancolie.
Au cours de cet entretien, il me raconte la création de ce nouvel album, les coulisses de son nouveau spectacle, mais également ses débuts, et certains passages de sa vie et de sa carrière, notamment avec Johnny Hallyday ou encore Antoine de Caunes… C’est tout cela que je vous partage aujourd’hui, avant de se donner rendez-vous au Palais des Congrès de Versailles afin d’applaudir cet artiste aux multiples facettes qui depuis quarante ans, nous partage sa vision en couleur, d’un monde trop souvent sombre…

Thomas Macri : Avec plus de quarante années de carrière passées aux côtés d’un public vous étant toujours resté fidèle, votre succès n’est plus à prouver. Que retenez-vous de tout ce parcours s’il fallait faire un arrêt sur le temps afin de regarder en arrière ?
Stephan Eicher : C’est un thème pour écrire un livre ou un film (rire). J’ai commencé à faire de la musique lorsque j’avais 17 ans, et cela dura assez longtemps avant de rencontrer un vrai public me permettant de faire des projets comme je pouvais les imaginer. Mais il y a surtout eu ce temps où tout s’est arrêté pendant la pandémie du coronavirus, me permettant à ce moment-là de réfléchir, créant alors une réelle gratitude en moi, ressentant le manque de ce métier… Pouvoir monter sur une scène, le rideau qui s’ouvre, suivi d’une heure et demie d’attention où les spectateurs écoutent les très belles paroles de Philippe Djian, nourrissant en eux une soif d’émotion… Avant cette pandémie, je n’avais jamais eu le temps de faire un arrêt, courant partout, entre les disques, les tournées, les promotions, les autres projets non connus du grand public que je fais à côté en travaillant sous des pseudonymes… Je travaille vraiment beaucoup, et lorsque tout cela s’est arrêté, j’ai pu me rendre compte que j’avais la meilleure vie imaginable, me permettant de chercher encore plus loin certaines de mes émotions telles que mes douleurs, mes joies, et de pouvoir les mettre en mélodie, pour un public toujours très attentif. Je suis vraiment très chanceux…

Stephan Eicher (3)TM : Au mois d’octobre 2022, après trois ans de travail, vous sortez l’album Ode. Composé de 12 titres, ces nouvelles chansons pleines d’humanité font du bien dans un monde pas toujours rempli de couleurs. Une main tendue, une mélancolie aux rayons protecteurs, une promesse de valse libératrice… Comment s’est déroulé l’enregistrement de ce nouvel opus ?
SE : Avec mon groupe, nous étions alors en tournée. En 2021, je crée « Le radeau des inutiles », un théâtre itinérant en forme de radeau de bois pouvant voyager à travers la campagne suisse afin de rencontrer le public, mais de façon plutôt anarchiste et chaotique, ne sachant jamais si la possibilité de jouer ou non nous était donnée. Malgré tout, lors de chaque représentation, nous avions réussi à obtenir la permission de jouer devant quinze personnes…. Vous imaginez ? Nous étions quatre sur scène, cinq techniciens, avec quinze personnes devant nous… C’était assez fou. Nous jouions toujours en plein air, masqués, dans des lieux absolument magnifiques. Mais l’idée de faire un concert devant quinze personnes me paraissait malgré tout ridicule, alors je prenais plaisir à apprendre les prénoms des quinze personnes se trouvant devant moi, et de manière assez conviviale, nous faisions à manger, à boire… Tout cela malgré la distanciation. Les hôtels étant fermés pendant cette période, nous étions forcés de rester toujours ensemble avec mon groupe. Tous les dix jours, nous faisions des tests PCR, qui d’ailleurs fut la plus grande partie du budget de ce spectacle, mais puisque nous étions forcés de rester ensemble, je me suis dis qu’il fallait installer mon studio « de voyage ». C’est comme cela que nous avons commencé, non pas par un disque pour moi, mais pour Salvatore Adamo, qui m’avait demandé s’il pouvait enregistrer. Basé sur cela, nous étions rentrés dans une fièvre d’enregistrement, du petit matin jusqu’à la fin de l’après-midi avant le début du spectacle. Nous avons en tout réalisé trois albums : un pour Salvatore Adamo, un deuxième pour moi qui s’appelle Ode, et un troisième dont je ne sais pas encore quoi faire… Je l’ai mis de côté pour le moment, mais peut-être qu’un jour, je l’utiliserai. Nous étions vraiment heureux de pouvoir créer de façon artistique, et ce disque est né de tout cela.

TM : Dans une interview pour France Info Culture, suite à la grande pandémie du coronavirus, vous dites : « Je voulais des chansons qui nous prennent dans leurs bras. »
Ecrites par Martin Suter et du romancier Philippe Djian, votre parolier de toujours, le résultat est bien présent. Comment leur avez-vous exprimé ce ressenti ?
SE : Je vais vous raconter une histoire un peu personnelle… Lorsque la pandémie a débuté, je résidais à ce moment-là en Camargue, et ce, depuis douze ans. Mes parents vivaient toujours en Suisse, et se trouvant être assez âgés, je savais que les trois mois d’isolation n’allaient pas très bien se dérouler pour ma mère, qui se trouvait être déjà atteinte de démence… J’ai alors dit à ma famille qu’il fallait retourner en Suisse pour être auprès de mes parents. Lorsque j’ai revu ma mère au bout de ces trois mois, elle ne m’a pas immédiatement reconnu, les effets de la démence ayant beaucoup agi. Je lui faisais alors écouter de la musique, faire des promenades… Et un jour, alors que nous regardions des albums photos, elle m’a d’un seul coup pris dans ses bras. Ce moment-là était pour moi, comment vous dire… Cela dépassait le côté émotionnel, c’était une autre dimension… Tout faisait sens !
Je me suis alors dis que, s’il était possible de recréer ce sentiment vécu avec ma mère après ces préparations intellectuelles, et de pouvoir toucher les gens en chantant, ce serait une réussite pour moi. Mais je ne l’ai pas vraiment expliqué comme cela à Philippe et Martin, l’ayant compris tout seul, sans vraiment avoir besoin d’explications.

Stephan Eicher (4)TM : Après être passé par plusieurs villes en France, dont Paris avec cinq dates à La Cigale en janvier dernier, mais aussi en Suisse et en Belgique, votre spectacle « Et Voilà ! »
s’arrêtera au Palais des Congrès le 14 avril prochain pour votre premier concert à Versailles. Quel effet cela vous fait de venir chanter dans la ville des rois de France ?
SE : J’ai peut-être déjà joué à Versailles dans une vie antérieure dont je ne me souviens plus… (rire). Plus sérieusement, lorsque je suis arrivé en France, je suis venu visiter le château de Versailles. Le Théâtre de la Reine, dans le domaine de Trianon, m’avait beaucoup plu, émettant même le souhait de pouvoir un jour y jouer, tant l’endroit est fabuleux. Mais le 16 avril prochain, c’est dans un espace plus grand dans lequel je performerai, au Palais des Congrès. C’est une ville qui fait rêver… D’ailleurs, lorsque je serai là, je n’hésiterai pas à prendre un tas de photos afin de les partager sur mon compte Instagram ! Je connais également les excellents musiciens du groupe Air, ainsi que ceux du groupe Phoenix, tous originaires de Versailles. Il y a une tendance musicale assez impressionnante dans cette ville.

TM : Accompagné de vos musiciens, vous y interpréterez les chansons extraites de votre dernier album « Ode », ainsi que vos plus grands classiques. Est-il possible de nous dévoiler en exclusivité certains moments qui auront lieu dans ce spectacle ?
SE : Dans la musique, j’aime ce que nous appelons « Les 3 suites » : Une symphonie d’ouverture qui réveille l’audience. L’adagio avec un côté plus intimiste. Et la fin, avec le compositeur qui choisit l’émotion vers laquelle il a envie d’emmener les spectateurs, comme une certaine luminosité, une joie. Il y a trois parties dans mon spectacle, sans entracte. Je ne peux pas tout vous raconter mais au milieu du concert, sur la chanson « Combien de temps »,
attachez votre ceinture, car ça va décoller… (rire). A la fin, j’ajoute également une pointe d’humour… Sur scène, il y aura une immense table, avec les musiciens assis autour, donnant l’impression d’avoir tout juste terminé un repas ensemble, donnant un côté vraiment convivial. Tous les instruments sont incrustés dans cette table, la batterie, le piano… Tous, sauf la harpe. Cette harpe qui donne un côté magique au spectacle, semblable à l’univers de Harry Potter…

TM : Nous avons hâte de découvrir cela !
Parlons un peu cinéma maintenant. En 2003, vous avez signé la bande originale du film « Monsieur N.» d’Antoine de Caunes, racontant l’exil à Sainte-Hélène et la mort de l’empereur Napoléon Bonaparte, avec plus de 30 chansons, et en 2004, vous êtes nommé aux César dans la catégorie « Meilleure musique ». Comment s’est déroulée la rencontre avec le célèbre animateur, et quelle est la différence entre créer de la musique pour soi et de la musique pour le cinéma ?
SE : Sans Antoine, vous ne me parlerez pas… C’est Antoine, lors de son émission de télévision Rapido, consacrée à la musique, qui avait eu l’idée de créer une rencontre entre un écrivain un peu rock, Philippe Djian et moi. Tout a commencé comme cela… En 2003, lorsque Antoine a réalisé ce film Monsieur N., alors rempli de costumes, de scènes assez impressionnantes de batailles, de mises en scènes avec des chevaux et d’imposants bateaux… Il avait vraiment envie d’une musique de film avec un grand orchestre, et il savait que j’avais déjà travaillé, sous un pseudonyme, pour de grands ballets, des pièces de théâtre… C’est comme cela qu’il est venu me voir en me demandant si j’avais envie de m’occuper de la bande originale de son film, sous mon nom. J’ai accepté, et je ne le regrette pas ! J’en suis très fier, car j’adore être le serviteur d’une idée plus grande que mes capacités artistiques.

TM : En 2002, vous composez la chanson « Ne reviens pas » pour Johnny Hallyday, figurant sur son album « A la vie, à la mort ! ». Comment s’est déroulée cette rencontre et comment travaille-t-on avec un monstre sacré tel que lui ?
SE : Je vais vous expliquer une petite anecdote amusante… Dans le temps, il y avait encore des répondeurs lorsque l’on vous appelait sur un téléphone fixe. Je rentre chez moi, et je l’écoute. Un message : « Salut, c’est Johnny, Johnny Hallyday. J’aimerai bien une chanson de toi. Rappelle-moi ». Immédiatement, je pense que c’est un ami qui me fait une blague. Le temps passe et deux ou trois jours plus tard, son manager me rappelle, me faisant remarquer que Johnny m’avait laissé un message vocal, et que je n’avais pas répondu. Je lui dis alors que non, pensant à une blague de mes amis voulant se moquer de moi, mais il me répondit très sérieusement que c’était bien Johnny, et qu’il voulait une chanson de moi ! Il poursuivit en disant que Johnny partait en voyage le soir même, et qu’il me laissait six heures pour livrer la chanson… Je me suis donc assis, et la chanson fut prête en six heures !

TM : Merci de nous avoir partagé cette anecdote ! Nous arrivons à présent à la fin de cet entretien, Stephan Eicher. Pouvez-vous révéler à nos lecteurs la nature de vos projets pour l’avenir ?
SE : Je suis en train de réfléchir à de nouvelles idées… Mais l’une d’entre elle serait une prochaine tournée, que j’appelle pour le moment « Nu ». Je serai habillé bien-sûr, désirant quelque chose de très réduit sur scène… Mais cela ne sera pas avant 2024 ou 2025.

Propos recueillis par Thomas Macri

Plus d’infos :
Retrouvez toutes les infos et les dates de la tournée de Stephan Eicher sur son site stephan-eicher.com, et pour le concert de Versailles sur versaillespalaisdescongres.com

Laisser un commentaire