RC Versailles, une Histoire de famille
Le grand-père, le père, le fils, la sœur
Le grand-père : le jeu en héritage
Il venait de raccrocher avec son petit-fils. Leur conversation habituelle, quand ils ne se voyaient pas pendant une longue période, sur la vie, sur les bonheurs simples, sur le rugby bien sûr. Cet enthousiasme de la jeunesse le maintenait vert, alerte. Lui, le bleu royal depuis près de 50 ans, voyait dans cette passion la prolongation de l’Histoire de son Club. De leur Club. Un corps laissé à la science, un nez en arabesque, des rhumatismes et quelques douleurs en héritage, c’était finalement bien peu par rapport à ce que son sport lui avait apporté. Des amitiés solides, indéfectibles, des opportunités professionnelles même, et une certaine idée de l’éducation. Certes, dans son Club plus que centenaire, il avait constaté l’évolution du jeu, celle de l’organisation, parfois même celle de l’état d’esprit, passant parfois de la communion à la consommation. Un rugby de clocher transformé en Château et Place d’Armes. Le socle des valeurs malgré tout, comme lui Papy, avait fait de la résistance. Son fils, et son petit-fils derrière lui, avaient repris vaillamment le flambeau. Prendre et donner, toujours. S’impliquer, participer, s’engager, encore. S’émerveiller, s’enthousiasmer, vociférer, être pour.
D’un ½ siècle de rugby versaillais, il avait retenu plus d’un enseignement. Et croyait fermement en la vertu de la transmission, de l’héritage. Dans la famille, facile, la passion ovale avait concerné tout le monde et ne les avait jamais quittés. Les repas pour 20 quand il y en a pour 10, les dimanches de déplacement, sur tous les terrains de France, les sacrifices parfois. Les fêtes de famille que l’on manque ou que l’on adapte, les cadeaux de Noël ciblés, les matchs du Tournoi, les tournées et toujours, cette amitié. Délicat cependant de ne pas voir qu’avec le professionnalisme, le rugby avait changé. Nivellement par le haut, arrivée du show dans le sillage des Roses de Jean Bouin, influence des finances sur le rétrécissement des panses, abandon des pactes de non-agression entre Clubs, quand le résultat prime sur la manière et le plaisir de jouer. Il ne pouvait s’empêcher de penser que son sport était en danger, celui de perdre une partie de son âme, de son sel ou de son identité. Son fils et son petit-fils le rassuraient souvent, mais comment pouvait-il en être autrement, lorsque bon sang ne saurait mentir ? Qu’en serait-il lorsque ces enfants, ces hommes (et ces femmes, signes des temps !) nouvellement attirés par le rugby, pousseraient la porte d’un club, à l’heure où la vitesse d’exécution n’est pas que sur le terrain ? Ces fameuses valeurs dont on parle tant, pour lui qui avait connu de nombreuses montées pour autant de descentes, auraient-elles encore un sens, au pays des réseaux sociaux omniscients, où l’individu se noie dans le collectif ? Ce collectif justement, si cher au rugby, trouverait-il sa place, dans une société paradoxale qui fait primer l’individuel sur l’océan des communautés ?
130 ans d’Histoire, et de clichés parfois (oui, une troupe scoute peut faire une très bonne équipe de rugby…), un alumni d’anciens et des présents, un Club ancêtre de la Fédération Française de Rugby. Pour lui qui avait connu l’éponge magique et le Dolpic, le sens du sacrifice et de l’effort, les protocoles commotion et les prépas physique à outrance ne lui disaient rien qui vaille. Dans son Club, amateur depuis toujours, il s’inscrirait toujours comme le gardien du phare. La mémoire et le garant de cette culture, de cette Histoire, de cette volonté de proposer un cadre familial et convivial pour la pratique du rugby. Après tout, n’avait-il pas passé plusieurs années aux manettes du Club, suffisamment efficaces pour ne pas le laisser entre n’importe quelles mains ?
Le père : le challenge sportif, le projet et l’organisation du Club
Lui aussi venait de raccrocher. Raccrocher les crampons fut l’une des expériences les plus spéciales qu’il avait eu à vivre. Quand la raison prime sur la passion, car au prix d’innombrables matins qui déchantent (20 minutes pour se déplier !), sa carrière parlait pour lui, mais avait fini par le rappeler à l’ordre. Donner la semaine à son métier, les soirs et les week-ends à sa passion. En plus de son jeu, il était devenu chauffeur attitré de ses enfants, puis bénévole-soigneur-porteur-entraîneur pour les catégories jeunes.
Désormais il était partie prenante dans les destinées de son Club, engagement que son père et son fils trouvaient plus normal qu’admirable. Les combles et les ingratitudes du bénévolat… Prendre et donner, comme une passe sur un pas. Un rouage parmi d’autres d’une mécanique de précision. Ses combats avaient désormais migré, d’une mêlée relevée aux défis acceptés, ceux d’assurer la pérennité de son Club à travers une vision, un cadre, une organisation et un budget. Chaque année.
En prenant les rênes du Bureau, il occupait les rares plages disponibles de son agenda par des rendez-vous, des coups de fil, des présences sur les bords de terrain, de la constante réflexion. Plus de marrons mais des réunions, plus de chandelles mais des prévisionnels, plus de tampons mais des subventions. Recréer l’ambiance, l’âme du Club, de l’éducation à l’état d’esprit, du bar aux déplacements en cars. Tout revoir, tout prévoir. Il fallait vivre avec son temps, celui de l’agenda et celui de l’époque. Pour être inspiré autant que challengé, motivé autant qu’accompagné, il avait amené des amis dans l’aventure. Ces amis du rugby comme ceux des autres vies. Parler le même langage mais également s’ouvrir à d’autres considérations.
La saison qui s’achevait lui avait donné raison, et couronné ses sacrifices de joies intenses. Chez les Seniors, la montée tant attendue depuis 3 ans était arrivée en avance. Sérieux, appliqués, soudés, les collectifs avaient réussi à se hisser aux 2 premières places de leurs Poules. Sans défaite même, excusez du peu, pour l’équipe Première ! Et cette occasion d’écrire une des plus belles pages d’Histoire, en terminant invaincus dans les matchs de Poule. Puis d’aller chercher des titres, sur les terrains d’Ile de France d’abord, puis de parcourir la France, bucolique et énergique. Le parfum des phases finales… Ce que ça pouvait lui manquer ! La chaleur revenue, sur le terrain et dans les vestiaires bouillants. Le camphre et les produits de massage, les regards, les silences et les montées en pression, les encouragements, les larmes parfois, les discours guerriers, solidaires, les gros qui se mettent des coups de tête, les matchs au couteau (à son époque, une montée se gagnait en match couperet), la délivrance, les retours en car… Tout ce qu’il s’employait à maîtriser et à faire perdurer.
Pour la saison prochaine, en retrouvant l’échelon national, il avait 2 objectifs : confirmer et compléter la liste des Partenaires/Sponsors du Club, puis trouver et intégrer des joueurs qui viendraient renforcer l’effectif au sens propre du terme (valeur ajoutée et état d’esprit.) Sur le premier objectif, l’essentiel avait été entrepris 2 années plus tôt. Des femmes et des hommes impliqués, qui avaient chacune et chacun compris le niveau d’engagement et le retour sur investissement dans la durée. Animés par la passion depuis toujours ou attirés par l’ambiance et l’atmosphère uniques à l’ovale, ils avaient trouvé un projet d’engagement au niveau local et régional, bientôt national.
Il avait d’abord anticipé le second objectif, en notant que certains des grognards du Groupe Seniors avaient déjà annoncé leur retraite à la fin de la saison, puis en sécurisant le Staff en place, déjà auréolé d’une belle montée. Ensuite, il y a ça de bon dans une aventure d’équipe, associée aux moyens de communication modernes, c’est qu’elle passe souvent les frontières du Club. Était venu s’ajouter à cela une signature unique pour un Club de niveau régional : un collectif de supporters. Le CUV (Collectif Ultras Versaillais) avait réussi le tour de force d’imposer une ambiance unique sur tous les stades, à domicile comme à l’extérieur, tout en respectant ces fameuses valeurs de convivialité, de respect et de jeu. Un sport de voyous pratiqué par des gentlemen dit-on… Ainsi les curieux, les motivés, les convaincus, ceux qui voient de la lumière, viennent grossir les rangs et compléter les quelques démarches ciblées pour renforcer à certains postes clés.
Une vision initiale qui passe par un projet sportif à 3 ans, une montée en Fédérale, et l’accent mis sur la formation et le bien vivre ensemble. L’intérêt du rugby résumé en trois années d’engagement, de choix, de décisions et de passion.
Le fils : la formation, l’ambition d’un Club
Parlons-en de cette formation justement. Élevé dans et par l’ovale depuis son plus jeune âge, bercé par les histoires, les anecdotes (les épopées mais pas les tournées…) de son père et de son grand-père, il avait du sang bleu dans les veines. Pour un versaillais, cela semblait d’évidence un clin d’œil de l’Histoire. Il ne s’appelait pas Louis, mais il était l’exemple vivant de deux éléments clés : le rugby est une école de la vie, et un Club peut (doit ?) vivre et se développer grâce aux effectifs formés au Club.
Par goût et envie après l’atavisme familial, il avait gravi (et aimé, aux grands dieux aimé !) tous les échelons de l’École de rugby. Bon élément, parfois le meilleur, il illustrait à merveille l’héritage familial, parvenant sans difficulté à supporter la pression de la réussite et de l’ambition de toute une famille. D’une telle lignée, il ne pouvait pas se manquer. Heureusement il avait réussi à adhérer, mais également à briller, bien servi par des capacités physiques qui correspondent aux générations élevées au grain…
Contrairement à son père et à son grand-père, il avait la possibilité de choisir une carrière dans le rugby. Malgré tout éphémère, comme une comète, il avait eu l’obligation de prévoir ses arrières. A point nommé, pour ses copains Juniors comme pour quelques-uns de ses confrères cadets, il allait avoir la possibilité de faire rimer esprit et rugby. Tout nouvellement sortie des cartons, une Section Sportive rugby venait de voir le jour, portée par le Lycée Jules Ferry et son Club, le RC Versailles. Horaires et pratique aménagés, balance entre sport et études, c’était le compromis idéal pour forger un esprit sain dans un corps sain.
En plus de la tradition familiale, il allait alors pouvoir concrétiser l’ambition d’un Club tout entier de faire jouer un maximum de joueurs formés au Club dans les équipes Seniors. Une boucle, un cycle, des perspectives.
La fille : le rugby pour toutes et le rugby loisir
Petite, elle était hermétique aux sirènes du rugby. Trop présent, trop prenant, trop masculin. Combien de repas, de réunions familiales, de week-ends ou de vacances avaient été perturbés par ce sport atypique, piquant les hommes de la famille d’une passion maladive ? Un jour, en 2018, elle était tombée coup sur coup sur le rugby à 7 féminin et la Coupe du Monde de rugby à XV. Révélation. Elle imaginait jusqu’à lors que le rugby féminin c’était son grand-père, son père et son frère avec des cheveux longs, un short et des talons aiguilles. Là, comme une évidence qui lui sautait au visage, non seulement elle voyait des filles qui s’engageaient en restant féminines, mais également un jeu aérien, emballant et ingénieux. C’était décidé, elle rentrait finalement dans la famille…
Rugby pour toutes, un rugby à 10 avec celles qui deviendront ses meilleures amies, elles qu’elle n’aurait sans doute pas remarquées sans cette rencontre fortuite. Dynamiques, enthousiastes, les filles, comme leurs ainées de l’équipe de France, ravivaient la flamme d’un rugby masculin laissé à l’état de braises ou pire, à l’état de cendres. 2 fois par semaine, on ne disait même plus qu’elle faisait comme les garçons, on disait que toute la famille jouait au rugby.
Elle avait choisi la compétition car elle voulait le challenge sportif, et qu’elle en aimait l’engagement. Pas longtemps, elle avait toutefois hésité avec le rugby Loisir, représenté par le rugby à toucher #rugbya5, mixte, sans contact. Une occasion unique de découvrir ce magnifique sport d’évitement et de vitesse qu’est (qu’était ?) le rugby. Le samedi matin, sans contrainte et sur une pratique 100% plaisir. Autre division du rugby loisir, les vétérans (+ 35 ans), représentés par les Vieux Crampons du Roi Soleil. Au-delà du côté cimetière des éléphants, ou repaire de débutants, c’est un moyen de continuer à jouer tant que la carcasse tient, et que la récupération ne se fait pas trop longue… A la carte, entre matchs et entraînement, pour se maintenir en forme(s), ces Seniors dans les 2 sens du terme perpétuent la tradition, l’esprit et la lettre de ce noble sport. Certes, parmi les valeurs dont on parle souvent, ils insistent sur la convivialité, et se tiennent parfois mieux à table qu’en mêlée.
Cette Histoire de famille a donc traversé les âges, grâce à l’engagement de tous et de chacun. Pour l’avenir, qu’aucun(e) Versaillais(e) n’hésite à s’engager, quel que soit le domaine, à la hauteur de ses moyens, aux côtés de femmes et d’hommes passionnés et passionnant. Jeunes, Seniors, Supporters, Partenaires, filles, garçons, du haut de cette tribune, 130 ans d’ovale vous contemplent. Voulez-vous faire partie de l’Histoire ?
Pierre CHEVALLIER.