L’hiver Glacial de 1740 à Versailles et la Jacquerie du Bois des Gonards

1740. Au début de janvier, cette année-là, Versailles connut un froid sibérien. Au château le canal et les bassins étaient gelés.

On grelottait jusque dans les chambres du château. Ces dames s’enveloppaient de pelisses fourrées et de « marmottes ». Certaines se faisaient faire des fauteuils « à oreilles » ou des « guérites » bourrées de coussins, d’autres recevaient dans leur lit toutes habillées. A la Cour comme en ville chacun, transi de froid, chargeait ses feux dans l’espoir de retrouver un peu de chaleur. Bientôt le petit peuple versaillais se retrouva à cours de bois de chauffage. La pénurie fit monter les prix pendant que la température baissait. Versailles était entourée de forêts qui appartenaient soit au Roi, soit à l’Abbaye des Célestins de Paris qui possédaient les seigneuries de Montreuil et Porchefontaine et les bois environnants. Les moines étaient encore propriétaires de 1200 arpents de forêt qu’ils exploitaient toujours avec soin. Charitablement, ils autorisaient les habitants des villages mitoyens à y faire des fagots de bois mort à condition qu’on ne touche pas à leur futaie.O n grelottait jusque dans les chambres du château. Ces dames s’enveloppaient de pelisses fourrées et de « marmottes ». Certaines se faisaient faire des fauteuils « à oreilles » ou des « guérites » bourrées de coussins, d’autres recevaient dans leur lit toutes habillées. A la Cour comme en ville chacun, transi de froid, chargeait ses feux dans l’espoir de retrouver un peu de chaleur. Bientôt le petit peuple versaillais se retrouva à cours de bois de chauffage. La pénurie fit monter les prix pendant que la température baissait. Versailles était entourée de forêts qui appartenaient soit au Roi, soit à l’Abbaye des Célestins de Paris qui possédaient les seigneuries de Montreuil et Porchefontaine et les bois environnants. Les moines étaient encore propriétaires de 1200 arpents de forêt qu’ils exploitaient toujours avec soin. Charitablement, ils autorisaient les habitants des villages mitoyens à y faire des fagots de bois mort à condition qu’on ne touche pas à leur futaie. Les versaillais les plus pauvres montaient régulièrement dans les bois des Gonards et de Porchefontaine y ramasser de quoi se chauffer. Cet hiver-là, dans la froidure, ils furent pourtant suivis de moins pauvres qui coupèrent sans vergogne du bois pour le revendre. Bientôt ce furent des bandes organisées, mêlant des gueux, des ouvriers sans emploi, des valets des grands seigneurs. Les Célestins étaient à Paris et n’interdirent rien soit par ignorance soit par charité. Enfin les plus hardis s’attaquèrent aux grands arbres et n’hésitèrent pas à abattre des chênes pourtant réputés protégés par superstition. Cela devint un véritable pillage organisé. On ramenait par charretées entières les bûches et les troncs à Versailles pour les vendre aux bourgeois qui en faisait commerce à leur tour avec bénéfices. Le 5 février on comptait quatre à cinq mille pillards de toute condition dans les bois. De bons bourgeois se déplaçaient pour organiser l’abattage.


Le Bailly de Versailles s’en émut enfin et voulut mettre un terme à ces déprédations, mais ne put intervenir lui-même car les bois appartenaient aux Célestins. Seuls ceux-ci, en étant les seigneurs, avaient droit de haute et basse justice sur leurs terres. Perplexe, il alerta le Procureur du roi au Baillage qui en avertit le maréchal de Noailles, gouverneur de Versailles. Le roi était à Marly avec la Cour. Le 10 février, le maréchal et Narbonne, premier commissaire de police de la ville, envoyèrent chacun un courrier prévenir le roi.
Outré, Louis XV donna immédiatement l’ordre à M. de Champigny de faire marcher sur Porchefontaine les Gardes-françaises et les Gardes-Suisses. Le jeudi 11 février les Suisses occupèrent les barrières de l’avenue de Paris et de la route de Sceaux interdisant toute rentrée de bois dans la ville. Les bois furent cernés par la troupe et les malandrins s’enfuirent dans toutes les directions, plusieurs furent blessés, un enfant tué par la chute d’un arbre. Cent Gardes-Suisses furent cantonnés à la ferme des Célestins, le reste bivouaquant dans les bois. Le vendredi, il fut proclamé dans la ville à son de trompe la « défense aux habitants de Versailles d’aller chercher du bois à Porchefontaine ».
Dans le même temps une enquête fut ordonnée pour arrêter tous les profiteurs de ce commerce de bois. On instaura des visites domiciliaires avec arrestation. Tous ceux qui avaient participé de près ou de loin paniquèrent. Plusieurs tentèrent de brûler leur bois mal acquis ce qui provoqua quelques débuts d’incendies. On en vint à jeter par la fenêtre en pleine nuit ce qui ne pouvait être brûlé ou consommé. Les rues de Versailles se trouvèrent encombrées par les branches et troncs d’arbres jetés sur la chaussée « en si grande quantité que le lendemain les voitures ne pouvaient plus passer dans certaines rues de la ville ».
Les troupes furent chargées de récolter le bois volé tant chez l’habitant que dans la rue. Le dimanche 12 février, on rendit aux Célestins le bois récupéré :au total, 600 troncs de chêne, 1000 baliveaux et 24 cordes de petit bois qui représentant quatre-vingt-six stères. Environ cent arpents (32 hectares) de forêt avaient été dévastés. On raconta que les pages du roi découvrirent avenue de Paris un énorme tronc qu’ils roulèrent en chantant et poussant jusque dans la cour des Grandes Ecuries.


Cinq ans plus tard, Louis XV acquit la seigneurie et les terres des Célestins par lettres patentes au prétexte que « la justice des moines paraissait indécente à sa Majesté ». Plus prosaïquement, c’était un vieux projet qu’il mûrissait depuis son retour à Versailles pour ainsi étendre son domaine de chasse jusqu’à Meudon. La négociation dura plusieurs années. Finalement les Célestins cédèrent le grand et petit Montreuil, les Metz, la Boulie et Porchefontaine « et tous les bois qui allaient avec » contre les grands et petits Villetain et la seigneurie et terres de Jaillac. A la même époque, le roi remplaçait ses anciens chevaux trop lourds à son goût par des purs sangs anglais. Il put enfin courir de Marly jusqu’à Meudon avec ses meutes de chiens. Quant au petit peuple, il reprit progressivement comme autrefois le chemin des bois pour y ramasser ses fagots.
Claude Sentilhes

Sources : Cl. Dietschy-Picard. Histoire du Quartier de Porchefontaine. / M-A de Helle, le vieux Versailles. Ed. Lefebvre, 1969. Le Roy, Histoire des rues de Versailles.1868. / Hout, Versailles aux trois visages, 1980. / Jacques Royen, Versailles, le quartier des Chantiers et son histoire, UIA, 2007.

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